« La reine morte et les vivants. »
Un Vendredi de la fin d’Aout, alors que, déjà, la ville sentait le chagrin des écoles, les répétitions s’achevèrent dans une ambiance de pétaudière prophétique de la débâcle à venir.
Pour la première fois, le metteur en scène, un homme encore jeune, très grand, trop mince, dont les mains de baigneur ressemblaient, lorsqu'il agitait ses bras osseux dans le contre-jour poussiéreux des poursuites, à deux minuscules méduses gélatineuses et phosphorescentes, ce garçon parfois à ce point recueilli qu’on sentait en lui monter comme une transe, d’ordinaire aussi froid et calme qu’ un presbytère, avait haussé le ton devant l’incapacité de Sasha et de sa rivale à jouer leurs répliques comme il entendait qu’elles le soient.
« - Vous êtes sures de savoir lire, les filles ? On ne le dirait pas ! Qu’est ce qu’il écrit Montherlant ? Reprenez votre texte, s’il vous plait. Il écrit, écoutez bien :
L'INFANTE : « Je ne suis pas encore parvenue à comprendre comment on peut aimer un homme. Ceux que j'ai approchés, je les ai vus, presque tous, grossiers, et tous, lâches. Lâcheté : c'est un mot qui m'évoque irrésistiblement les hommes. »
INES : « N'avez-vous donc jamais aimé, Infante ? »
L'INFANTE : « -Jamais, par la grâce de Dieu. »
INES : « -Mais sans doute avez-vous été aimée ? »
L'INFANTE : « -Si un homme s'était donné le ridicule de m'aimer, j'y aurais prêté si peu d'attention que je n'en aurais nul souvenir. »
Que vous évoque cet échange? Et par pitié épargnez nous le couplet habituel : « la grande affaire d’Inès c’est l’amour, alors que l’infante n’est attirée que par le pouvoir ». Nous le savons déjà, c’est répété, rabâché à longueur de scènes. Vous jouez les mots, les filles, la surface des mots, alors que je veux entendre tous les « non-dits » que cachent ces mots. Je veux que vous donniez à voir les choses derrière les choses. Vous êtes des comédiennes, bordel, pas des perruches savantes. Alors, qu’est ce qu’il nous murmure ce fichu sous texte ? Vous ne voyez pas ? Qu’est ce qu’elle exprime, l’Infante ? Son rejet de l’amour ? FAUX ! Son rejet des hommes ! Ecoutez la : les hommes sont grossiers, lâches, ridicules. Elle ne stigmatise pas l’amour l'Infante, elle stigmatise les hommes, ces créatures barbares dont le contacte lui répugne. Si elle entend sauver Inès d’une mort annoncée, c’est autant pour échapper à la couche de Pedro que parce que consciemment ou inconsciemment elle est attirée par la jeune femme. Attirée amoureusement. Il faut me le jouer ce sous-texte lesbien, sinon comment voulez vous que le public le comprenne ?
Il avait débité sa tirade sans reprendre son souffle, si bien qu’elle s’acheva dans des sifflements tragiques d’asthmatique, auxquels fit écho la voix gouailleuse de Sasha qui, devant la mine subitement crayeuse de sa partenaire, ne put s’empêcher de la bousculer du coude tout en lançant :
« - C’est bon Totoche, fais pas cette tête de martyre, personne ne te demande de me brouter le cresson !
Nous en riions encore lorsque nous arrivâmes à la soirée que donnait en l’honneur de la troupe, une ancienne gloire du boulevard, reconvertie dans la production d’œuvres théâtrales classiques depuis qu’elle avait épousé les millions et les bonnes manières d’un vigneron de Province plus titré qu’un grand d’Espagne.
Etourdissante d’élégance dans une simple robe de crêpe noir au décolleté de laquelle sanglotaient les limpidités vermeilles d'un cœur en rubis certainement plus charitable que celui battant sous les baudruches d’une poitrine longtemps osseuse, Sophie de B., SoSo pour les intimes, autrement dit la poignée de happy fews en vogue cette saison, et « Belphégor » pour sa garde rapprochée de tapettes dont les silhouettes sèches de flamants aux pastels dansaient dans son sillage, cous et pattes étirés, un étrange ballet cancanant à mi chemin entre la parade nuptiale et la démonstration d’intentions belliqueuses; Sophie de B. que l’on disait cruelle parce qu’elle réussissait en affaire et dépravée parce qu’elle aimait « les jeunes gens fauchés et les vieux machins à portefeuilles », accueillait les arrivants avec des airs ahuris d'effraie, qu’elle accompagnait d’un invariable et pétaradant « - Comment, mais vous êtes là ? Mais quelle adorable surprise. » Laissant entendre qu’elle n’avait pas pris elle-même le soin de trier ses invités sur le volet et donnant aux malheureux nouveaux venus le sentiment inconfortable de s’être trompés de soirée.
Il en fallait cependant d’avantage pour déconcerter une Sasha décidément très en verve.
« - Tu devrais éteindre quelques lustres, chérie, répliqua t elle avec ce sourire suave et qui se dit sans « arrières pensées » dont le mondaines aguerries usent comme d’une arme. Toutes ce lumières finiront par t’attirer des bataillons de moustiques en plus des parasites ordinaires. Quoi qu’il en soit tu es superbe ! Et toujours le cœur à gauche à ce que je vois. Ne me dis pas que tu considères encore la révolte comme une forme d’optimisme ! Du reste, peut-on parler de révolte de manière autrement que provisoire depuis le règne de sa majesté Mitterrand ? Bref, évitons la politique et nous resterons amies. Laisse-moi plutôt te présenter mon neveu, V, le fils de François Xavier.
« - François Xavier !!!! Brama la comtesse de sa voix bizarrement rocailleuse, presque masculine. Je l’ai connu tout mioche, celui là. Il était encore en culottes courtes qu’il me tirait déjà le portrait. Uniquement le portrait, jeune homme, rassurez vous. Il m'adorait votre papa, vous savez! Il trouvait à mon visage une ossature fascinante. "- Tu prends la lumière comme Dietrich! ", disait il. Quel flatteur, quel dragueur, quelle adorable canaille! Laissez moi donc vous regarder , mon joli! Vous ressemblez d'avantage à votre maman, n'est ce pas? Dites moi, comment se porte t’elle ? Toujours chez les Aztèques ?
Sans attendre une réponse que je tardais à lui donner tant j’étais vexé qu’elle m’ait trouvé des airs de ma mère, SoSo prit Sasha sous le bras d’un geste qui se voulait affectueux alors qu’il était prédateur et l’entraina en direction du premier salon ou trônait le buffet.
« - Sais tu que je t’admire, Alexandra, ma chérie ? Jouer « La reine morte », il faut être folle. Ou désespérée… C’est d’un chiant, mais d’un chiant !!! Et ces tunnels de texte dont vous ne pouvez déplacer une virgule, quelle torture ! Tu devrais faire du Boulevard, c'est tellement plus marrant! On improvise, on part en délires, on interpelle le public ! Dieu que les planches me manquent ! Remarques, il n’est pas dit que je ne remonte pas sur scène la saison prochaine. « Féfée de Broadway », plus personne ne l’a joué depuis Maillan, ça pourrait être amusant. 30 représentations exceptionnelles histoire de ne pas lasser. Le retour de « Mademoiselle Formule 1 », comme m’appelaient Barillet et Gredy ! Evidement, Hubert va raller, mais bon, je ne m’en inquiète pas trop ! Un grand coup de porte jarretelles et il redevient tout mignon, le barbon. Et toi, chérie, ça ne t’embête pas trop d'avoir cette pédale honteuse de Staniland pour amoureux ? S'il te plait ne m'en dis pas de bien, je déteste ce garçon! C’est épidermique ! Et il le sait. D'ailleurs il pointe aux abonnés absents ce soir. Sans doute est il trop occupé à corrompre des enfants de chœur. Quand je pense que je le paie pour jouer dans Ma pièce, je frôle la crise de Psoriasis ! Le metteur y tenait absolument, va savoir pourquoi! Il doit donner dans la jaquette celui là aussi! Très "Lavander Maffia", le milieu en ce moment, tu ne trouves pas? Bref, pour en revenir à Staniland, figure toi que récemment, cet empaffé mondain m’a grillée à Drouot. Un paysage ravissant de l’atelier Breughel. 470.000 Francs. Je n’ai pas voulu enchérir au-delà de 45. Petit enculé pompeux, va !
Sasha rejeta en arrière ses longs cheveux ondulés qu’elle avait teints en brun chocolat pour incarner Inès de Castro. Cette couleur chaude s’harmonisait joliment avec la soie rouge corail tirant vers l’oranger de sa robe et les dégradés à peine moins soutenus de l’étole de mousseline dont elle couvrait ses épaules nues.
« - Mais qu’est ce que tu me racontes là ? dit elle d’une voix aux inflexions circonspectes. 470 .000 balles ? Je ne vois pas très bien ou il les aurait pêchées, il n’a pas un flèche !
Sophie de B. se rapprocha de son amie avant d’adopter un ton de confidences, ce qui dans son cas consistait à ne pas hurler mais à parler normalement et encore suffisamment fort pour qu’alléché par les révélations qu’elle s’apprêtait à faire, je n’en perde pas un souffle.
« - Ma pauvre petite, ne me dis pas que tu t’es laissée abuser par son personnage d’artiste famélique et maudit ! Se désola t elle tout en froissant entre ses longs doigts nerveux le vaste carré de Baptiste Parfumé à la violette dont elle rafraichissait régulièrement son cou hautain de périscope. Fauché Staniland ? Mais il est plus riche que toi et moi .Enfin Alexandra, redescend sur terre ! Staniland W., les aciéries W., la dynastie des W .Ils ont gagné des milliards pendant les deux guerres. L’un d’eux a même épousé une Brantes, ce qui le fait cousiner avec Giscard. Une famille des plus honorable jusqu’à ce que ce pervers de Staniland n’y porte le scandale. Une histoire de pédophilie absolument sordide. La victime avait onze ou douze ans! Et je ne te parle pas de simples attouchements .... Ca a fait un de ces grabuges en Lorraine, tu n’imagines pas. Les W. grâce à leur relations sont tout de même parvenus à étouffer l’affaire, mais ont priés Staniland d'aller faire ses cochonneries ailleurs. Seulement voilà, le grand père complètement gaga, lui a laissé à sa mort, non seulement un fort joli pécule mais également un bon paquet d’actions de la compagnie. Le Staniland, pas idiot, a finement négocié, sa non ingérence dans les affaires familiales pour une somme, dit-on, indécente. De plus, régulièrement les entreprises W. lui versent des royalties, c’est le cas de le dire, royales afin qu’il se tienne à l’écart de leurs magouilles et ne vienne pas les éclabousser d’un scandale supplémentaire. Tu sais comment sont ces bourgeois de Province, aussi nantis soient ils, âpres au gain, mais frileux en matière de mœurs.
Moins étourdi cependant par l’alcool que par les révélations de la Comtesse, j’avalais d’un trait et sans me donner la peine de respirer ce qu’il restait du grand verre de Vodka qu’un barman conciliant avait bien voulu me servir. La blanche caresse du breuvage le long de ma moelle épinière m’apporta un apaisement immédiat. Toutefois, il me fallut encore quelques minutes avant que je ne réalise que, doté d’à peu près autant de morale qu’un chiot à la tétine, j’accordais en fait peu d’importance aux mensonges de Stan, comme à la découverte de ses turpitudes. D’autre part, je ne pouvais décemment à présent que je me trouvais averti de ses penchants, en prendre le prétexte pour l’accuser de m’avoir entrainé dans de mauvais chemins alors qu’il s’était contenté d’y suivre mon pas déluré. J’éprouvais même un bête soulagement à savoir qu’il n’y avait pas dans la vie de Stan cette richissime célébrité que je m’étais empressé de fabriquer de toutes pièces et avec laquelle il m’aurait fallu à un moment ou à un autre le partager. Ajoutez à cela que le découvrir fortuné, loin de m’affliger, me laissait augurer des jours de bombance puisque j’étais parfaitement décidé à profiter du pactole pour assouvir quelques caprices ruineux, et vous obtiendrez de la graine de « Mauvaise . Graine » radieuse et froidement déterminée à jouer de ses charmes encore verts et de ses candeurs plus ou moins affectées pour ferrer vigoureusement un poisson dont elle entendait limoner jusqu’à l’arrête les écailles d’or et d’argent.
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Ce fut donc avec le plus parfait naturel, comme si la chose allait de sois et n’appelait aucune contestation, que je m’installais chez Stan, ou du moins chez le mystérieux « ami » de Stan.
J’avais raconté à Sasha un bobard à ma manière, selon lequel des copains de classe seraient rentrés plus tôt que prévu à Paris en raison d’un terrible incendie dont leur résidence Varoise aurait été la proie – J’ignorais complètement s’il y avait eut des incendies dans le Var cet été là, cependant je me disais que puisque le Midi cramait à peu près tous les ans sans que ma jolie tante ne s’en préoccupa d’avantage que de ses premières socquettes, je ne risquais pas grand-chose à enflammer le Sud de la France d’Avignon à Juan-les-pins -, que les copains en question m’avaient invité à profiter de leur piscine, le soir après les répétitions, et que, tu comprends, leur propriété se trouvant située aux confins de Saint Cloud, autant dire en terre Adélie, je ne pouvais décemment exiger de leur père qu’il me ramenât boulevard Diderot à des heures indues.
Sasha avait feint de m’écouter, feint de me croire, tandis qu’elle achevait de farder d’un beau rouge fauve sa bouche large et spirituelle, hochant de temps à autre la tête l’air de dire « Et mon cul c’est du poulet... t’en veux une aile ?», mais n’avait pas élevé d'objection majeure à ce que je me fasse la malle, posant pour seule condition que mes prouesses nautiques n’empiétassent pas sur mon « emplois » au théâtre ou je continuais donc à jouer les anges de miséricorde, comblant avec diligence et aménité tous les petits caprices des uns et des autres et particulièrement ceux de « l’infante », la malheureuse s’en allant en eaux depuis que Stan lui avait signifié son intention de ne pas réitérer « le coup du Rocking-chair », au motif que ne l’aimant pas dans la pièce il ne pouvait se permettre de l’aimer dans la vie sans altérer la sincérité de son jeu.
Du coup, la sorcière avait reporté ses soupçons sur Sasha, laissant entendre à qui voulait bien lui prêter l’oreille que si les scènes entre le prince et Inès de Castro vibraient d’une telle intensité, en dépit des talents dramatiques extrêmement limités de leurs interprètes, c’était bien à cause d’une attirance mutuelle indéniable.
Sasha, on s’en doute, se fichait comme d’une guigne d’un garçon qu’elle savait aussi pédé qu’un foc de baleinier, cependant , par malice, elle ne perdait pas une occasion de faire enrager sa rivale en prodiguant à Stan des attentions et des agaceries qu’il acceptait complaisamment avec une mine nantie de Nabab et un sourire narquois de joyeuse canaille.
Etrangement, je prenais ombrage de leur complicité.« - C’est quoi cette combine à retourner le brouillard entre Sasha et toi ? Vous n’arrêtez pas de vous tripoter excités comme deux puces à marée basse ! Vous avez l’intention de filer au bois jouer au petit loup ? Râlais-je lorsque nous nous retrouvions chez lui après avoir emprunté des itinéraires soigneusement séparés.
« - Pourquoi pas, elle est canon ta tante ! Ironisait-il dans un sourire élégiaque.
« - Sur, on se ressemble ! Précisais-je comme on souligne une évidence.
« - Dans le coté salope, votre parenté ne laisse aucun doute ! concluait-il en m’ôtant mes vêtements.
Faire l’amour dans un lit ou on aurait put coucher Ali Baba et les quarante voleurs sans qu’ils ne s’y trouvent à l’étroit, m’était une expérience nouvelle que je goutais avec volupté, même s’il m’arrivait parfois de regretter le « Tunnel » et les acrobaties auquel son inconfort nous contraignait.
Il me semblait que notre liaison prenait des allures mollement bourgeoises depuis que les fanfares vandales dont elle retentissait viraient au riant pizzicato des Mandolines Milanaises dans les splendeurs Impériales d’un palais d’été, posé comme un jouet scintillant au cœur paisible de l’Ile Saint Louis.
Que Stan qui ne sortait pas de la cuisse de Jupiter mais d’un bar P.M.U de la région Nancéenne, et que l’on disait pauvre comme Job, puisse occuper, fut ce à titre d’invité, une demeure de ce standing, éveillait en moi une curiosité chaque jour plus vive, d’autant que l’identité du nébuleux propriétaire des lieues me demeurait une énigme digne de celle du Sphinx.
Aux questions que je posais, mon amant répondait de manière allusive et voilée, n’hésitant pas, la plupart du temps à manifester un agacement propre à aiguillonner mes soupçons.
Oui, son « ami » disposait d’une solide fortune.
Oui, il était collectionneur et Antiquaire de son état, ceci expliquant le nombre de pièces d’exception décorant sa résidence Parisienne.
Oui, il l’hébergeait par pure bonté d’âme.
Non Stan n’était pas le gardien rémunéré du temple.
Non, l’ « ami » ne séjournait pas souvent dans la capitale, ses affaires l’appelant dans le monde entier.
Non, inutile d’insister, je ne connaitrais pas son identité, pas plus que la nature des liens l’unissant à Stan, et puis arrête maintenant, tu m’énerves à jouer les Rouletabille, on est là pour baiser pas pour élucider le mystère de la chambre jaune.
Le plus étrange au sein de ce sirop de mélasse résidait dans le parfait manque de personnalité d’un lieu auquel l’abondance de Corot, de Matisse, de Modigliani, de xylographies d´Albrecht Durer, de bronzes signés Pierre-Jules Mène ou Van der Cruse Delacroix, Chapirus ou Cartier, d’argenterie Puiforcat et Boin Taburete, d’un mobilier griffé Duval, Majorelle, Boule, conférait une atmosphère austère, un peu inquiétante de musée fantôme, fermé aux visiteurs puisque Stan n'y recevait jamais personne .
Excepté dans la chambre que nous occupions, sa salle de bain, et la cuisine ou nous prenions nos repas, nul désordre, nulle confusion, nulle trace de vie brouillonne ne venaient troubler l’agencement rigide des salles et salons.
Le dressing ne contenaient rien d'autre que la maigre garde robe de Stan, le cabinet de toilette ses produits d’hygiène et de soins.
Dans les armoires, les tiroirs, que j’explorais scrupuleusement profitant du sommeil de mon compagnon, je ne trouvais que du linge de maison, des objets usuels et sans grand intérêt. Pas de lettres, pas de papiers, pas de factures, rien en somme qui signalât que cette maison fut habitée avant que Stan ne l’occupe.
Plus curieux encore, l’absence totale de photos, les cadres d'argent et de bois précieux sur le piano ou les commodes ne contenant pas la moindre image.
A Croire qu’avant mon arrivé Stan s’était hâté de faire disparaître toute trace de son « ami ».
Mon esprit tortueux en déduisit que ce dernier devait être extrêmement connu pour qu’un garçon aussi ignare que je l’étais soit susceptible de l’identifier à la vue d’une simple photographie.
De là à imaginer que l’homme auprès duquel je dormais chaque nuit gigolait glorieusement entre les draps d’une célébrité Internationale, il n’y avait qu’un pas que je franchis allègrement, bien décidé à tirer toute cette histoire au clair. -
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Assourdie, étouffée, moqueuse, la rumeur de notre liaison montait lentement des tréfonds du « Tunnel » jusqu’aux feux de la rampe.
Bien qu’elle dissimulât à la perfection son âme étroite de grande bringue mal baisée, voire pas baisée du tout, derrière des manières délicates, des airs de poupée, un sourire amène, figé dans le sucre, le miel, le sirop de groseilles et qu’elle affichait en permanence comme si réservant à la scène l’éloquence de sentiment plus nuancés, elle eut été incapable d’exprimer, à la ville, autre chose qu’une courtoisie de circonstance, la comédienne incarnant l’infante ne redoutait personne lorsqu’il était question de foutre le bordel.
Aussi, un soir qu’elle trainait dans la loge de Stan sous prétexte de répéter quelques dialogues qu’elle maitrisait mal, lui demanda-t-elle, à brule pourpoint et sans se départir de ses grâces pâmées, s’il couchait avec moi, auquel cas, ajouta-t-elle dans un brusque élan de vertu, elle se verrait contrainte d’en informer Sasha, puisqu’en dépit de ma haute taille, de mes larges épaules, de mes jambes de champion cycliste, de mon esprit bien trop acide pour mon âge et de mes yeux « déjà vieux », je n’en demeurais pas moins un enfant et qu’il lui semblait , somme toute, obscène qu’un trentenaire aguerri profitât des candeurs, certes équivoque, d’un petit garçon pour lui « refiler des arthroses anales ».
Avec une sobriété de jeu digne d’un « Molière », Stan haussa négligemment les épaules, acheva sans hâte sa cigarette, avant de répliquer qu’il ne voyait pas du tout dans quel marécage elle avait put pêcher pareille sornette, qu’il éprouvait, en effet, beaucoup de sympathie pour moi, que mon inculture, mon insolence, mes airs de matamore l’amusaient énormément, mais qu'il n'entendait nullement attenter à mon honneur, à supposer que je ne l’ai déjà égaré au Diable vauvert, puisqu’il n’avait pas le gout des éphèbes! Et de façon à le lui prouver sans contestation possible, il renversa la donzelle dans un rocking chair, dont les cadences chaloupées lui furent d’une aide providentielle pour amener la vipère au paradis.
Je crois, de toute ma vie, n’avoir jamais ri d’aussi bon cœur que lorsque, le lendemain, encore sous le choc, Stan me rapporta l’incident.
« - C’est tout l’effet que ça te fait ? Se scandalisa le martyre.
« - Attends, Stan, tu as accroché la fourrure de l’autre salope à ton porte manteau, on ne va appeler Fox Mulder pour autant. Reste que nous voilà grillés, maintenant ! Remarque, moi je m’en fiche. Dés que mon père rentre d’Afrique du Sud, je réunis toute la famille et je déballe le paquet cadeau.
« - Tu fais ce que tu veux du moment que tu ne m’impliques pas. J’ai une carrière, je te signale !
Je me mordis les lèvres pour ne pas lui faire remarquer qu’un rôle récurant dans une sitcom tournée des années plus tôt sous le soleil de Babelwed les pins, une publicité à la gloire d’un lave- linge, une poignée de panouilles chez Navarro ou Julie Lescaut et une future apparition au théâtre, ne justifiaient pas, à mon sens, l’emploi d’un terme aussi solennel que « carrière ».
« - Donc on arrête tout ? Demandais je un peu inquiet que ce grand lâche ne réponde par l’affirmative.
« - On arrête au théâtre! En dehors on n’est pas obligé. Ton père est absent, je crois…..
« - Oui mais non, c’est pas suffisamment le carnaval dans mon slip pour que j’aille tremper le petit gavroche sous le toit de papa, et avec un mec en plus, sans lui en avoir parlé d’abord ! T’as pas de maison, toi, peut être ? Tu vis dans un carton sous le pont Alexandre III ?
Embarrassé, Stan se balançait d’un pied sur l’autre avec des grâces balourdes de Grizzli.
« - Ouais, bien sur que j’ai un appart, finit il par dire au bout d’un long silence gêné. En fait c’est compliqué ! Je loge chez un ami et…..
Je ne lui laissais pas l'occasion de terminer sa phrase.
« - T’as un mec, c’est ça ? T’inquiète Totoche, même si ça pouvait nous ramener Joe Dassin, y a peu de chances que je cabane dans les quadripôles!
« - Mais qu’est ce que tu vas chercher toujours midi à quatorze heures ? S’impatienta Stan tout en m’attirant contre lui. Si j’avais un mec je te l’aurais dit, espèce de bourricot sans cœur! Je te parle d’un ami, d’un ami très cher.
Je boudais, sans toutefois pouvoir m’empêcher de lui caresser les couilles à travers l’étoffe de ses jeans.
« - Bien sur, et ma mère est vierge également !
Il ôta ma main de son entrejambe de crainte qu'elle ne communique le feu à une matière des plus inflammable, me repoussa un peu durement. Un grand pli de contrariété lui barrait le front.
« - Arrête, merde, V. Tu es pire qu’un môme!
Je riais doucement, adossé à la porte des toilettes ou nous avions trouvé refuge.
« - Je suis un môme, Staniland !Il revint vers moi, enserra mon visage de ses mains comme s’il voulait le réduire en poussière, puis m’embrassa avec une telle sauvagerie que nos dents s’entrechoquèrent tandis que notre baiser se teintait d’un gout de sang.
« - Tu as gagné sale môme, grommela t il contre ma bouche, on se retrouve chez moi après la repet. Tu es content ? Nos brèves rencontres n’auront plus lieu. En revanche trouve une excuse pour passer la nuit dehors. Je n’ai pas l’intention de te laisser filer avant l’aube, moi. Il va falloir que tu me le paies très cher, le coup du Rocking-chair !